mardi 27 janvier 2015

Du simulateur au vol réel

C'était un vieux défi qu'on s'était fixé en 2013 avec de vieux amis: aller au Toulouse Game Show en 2014 ... en avion privé. Alors bienvenue à bord du F-HAPT, le petit Cessna 172 SP de l'aéroclub Paul Tissandier, qui fait route depuis Toussus-le-Noble vers Toulouse Blagnac, avec une escale à Poitiers pour l'avitaillement et récupérer mon dernier passager. Une traversée de France comme j'en rêvais depuis ma 300nm solo, et en prime, avec un départ magique face à Paris, et des images comme celle de cette quasi verticale d'Orly.



Mais en fait, c'est le retour qui va rester dans les souvenirs de mes passagers et moi, de par son intensité technique très rare.

Comme avant chaque vol, on commence par un briefing, et aujourd'hui, il est complexe, et, non sans flair, très axé sur la météo. Les conditions au départ nous permette le départ en VFR Spécial vers Toulouse Lasbordes pour faire le plein de 100LL, puis de partir de LFCL sous plan de vol Z. le TAF de Toussus annonce TEMPO BKN004 que je m'empresse de comparer aux minimas de la VOR 07L à Toussus, sachant qu'au pire, une percée ILS serait toujours possible. La TEMSI ne révèle pas de givrage sous le FL110, la couche d'altostratus du FL70 se désagrégeant progressivement au fur et à mesure que nous ferions route vers le nord. Décision est prise de se mettre en route. Une route simple, en fait, l'airway A34 de LACOU jusqu'à BALAN

Le décollage de Toulouse se fait sous une bonne pluie. Petit tour de piste en VFR Spécial pour rallier Lasbordes via la trajectoire publiée, puis départ dans les mêmes conditions après avoir pris la clairance chez Toulouse Approche, qui nous donne le départ omnidirectionel sur LACOU en montée vers 3000ft et de garder les conditions VMC. Après LACOU, la montée vers le FL90 nous plonge pour la première fois en IMC. Coup d’œil à la sonde de température, qui indique +2 degrés. Comme prévu, au fur et à mesure de notre route, le ciel se dégage, et mes passagers observent les couleurs extrêmement vives du coucher de soleil, tellement vives qu'elles se reflètent sur les ailes et le fuselage de notre Cessna qui croise à 90kts de GS au FL90, pendant que je prépare notre arrivée sur Poitiers.

Nous contactons Limoges Approche et je continue à utiliser le G1000 pour raccourcir au maximum la trajectoire, clairé direct sur BALAN, et j'en profite pour calculer le temps d'attente possible avant dégagement sur Châteauroux LFLX, qui est l'aérodrome de dégagement que j'ai choisi pour cette branche.

Le contrôleur de Limoges nous shoote à son tour vers Poitiers Approche. Petit problème, le contrôleur nous prévient que la météo est très inférieure aux prévisions, avec seulement 4000m de visibilité, et un plafond couvert à 300ft, en nous précisant que les deux avions qui nous précédaient (un 737 de Ryanair et un ATR42 d'Hop!) n'ont pas pu se poser à l'issue de la VOR 03 et ont dû se dérouter. Je choppe le manuel de vol et jette un coup d’œil aux performances pour un atterrissage avec une composante de vent de 15kts arrière et trouve 1100m, que je confronte à la carte de Poitiers où la piste affiche une LDA de 2350m.

"- Foxtrot-Papa-Tango, I see that you have another flight plan for Toussus this evening ?
- Affirm.
- Are you ready to copy the latest weather report at Toussus ?
- Go ahead.
- Visibility 500m, invisible sky, so there is less than 100ft ceiling. And I have one aircraft diverting from Toussus to Poitiers now.
- Okay, so we would like to make the ILS runway 21, we are in compliance with the performances.
- Euuuuh Fox-Papa-Tango, just in case you cannot land at Poitiers, what's your alternate airport ?
- Châteauroux, Foxtrot-Papa-Tango.
- Fox-Papa-Tango, are you ready to copy latest weather at Châteauroux ?
- Go ahead.
- Fox-Papa-Tango, visibility 8 kilometers, ceiling 100ft.
- Okay we will make the ILS runway 21 at Poitiers, we should have the minimas, Foxtrot-Papa-Tango.
- Fox-Papa-Tango, I'm sorry but if you can't land at Poitiers or at Châteauroux, where do you go ?
- ... Stand-by, Foxtrot-Papa-Tango."

Je pense que mes passagers ne devaient pas comprendre grand chose à ce qu'il se passait, mais de mon côté, la situation s'est nettement complexifiée. Toussus, Pontoise, Châteauroux, Rouen, Beauvais, ... Tout est inaccessible au nord de Poitiers ! Avec le recul, maintenant, je pense que je me suis directement inspiré d'une mise en situation que j'ai eu en simulateur de vol DA42, il y a 10 mois, pendant ma formation en vol. Mon instructeur avait sélectionné pour mon terrain une météo bien inférieure aux autres plateformes du coin, pour tester mes capacités d'adaptation et ma prise de décision. Sauf que là, je suis aux commandes, je n'ai pas d'instructeur en place droite, je ne suis pas assis dans un simulateur, et 2 passagers comptent sur moi pour les amener à destination. On peut en dire tout autant de la percée qui m'attend sur l'ILS 21 à Poitiers. Ma dernière percée de ce style remonte à un backseat en DA42, quasiment 1 an auparavant, en décembre 2013. Sauf que cette fois-ci, c'est moi qui suis aux commandes, et de la même façon, je n'ai aucun instructeur en place droite pour m'assister.

Pendant que le pilote automatique suit le trait du début de l'arrivée BALAN2A, je décide d'annoncer à mes passagers que je vais m'isoler afin qu'ils puissent discuter entre eux pendant que je me concentre sur la préparation de l'avion.

En fait, le G1000 permet d'afficher le rayon d'autonomie avec ou sans la réserve finale, tout en tenant compte du vent calculé par le GPS et l'ADC. En recoupant cette information, l'aérodrome le plus approprié semble être Nantes, à environ 1h de vol vers le sud-ouest, mais je déchante vite lorsque le contrôleur m'annonce que la météo y est en très nette dégradation. En continuant mes recherches, je repère l'aéroport de La Rochelle mais bien que la météo y soit favorable - et qu'elle va le rester ! - il est à 1h30 de vol au sud-sud-ouest, ce qui nous laisse peu de marge de manœuvre, vu que j'ai calculé environ 2h d'autonomie. C'est pour cette solution que j'ai opté.

Je décide de laisser faire le pilote auto pendant l'approche, et je prépare mes moyens radio et radionav pendant que le contrôleur me prend en guidage radar. J'en profite également pour me "désisoler" et briefer mes passagers, leur expliquer la situation, et mettre à profit la présence d'un passager en place avant droite. Je ne peux me souvenir d'aucune forme d'appréhension dans leurs voix, me gratifiant d'un simple "ah bein on te fait confiance !". J'explique à mon passager de droite, sachant qu'il a quelques notions de pilotage, qu'il doit guetter la rampe lumineuse - un peu comme en MCC, finalement : le PF pilote et le PNF regarde dehors.

"- Fox-Papa-Tango, turn left heading 250, cleared ILS approach runway 21, wind 200 degrees, 10 knots maximum 15."

Je tourne une dernière fois la molette du heading bug et appuie sur le bouton APP du G1000, qui se sera avéré d'un secours inestimable, à la limite de l'exemple, pour tous les détracteurs de l'EFIS, M'étant ré-isolé, je fais mes annonces techniques à voix haute comme j'ai appris à le faire avec Papy, mon instructeur. Lentement mais sûrement, le C172SP intercepte l'ILS de la piste 21 et j'observe l'évolution de la vitesse sol sur le MFD avant de préparer ma machine, pour une vitesse d'approche retenue de 60kts, avec les pleins volets, au "half-dot before glide". Pour le moment, il y a 20kts de composante arrière, et je majore grossièrement de 200m ma distance prévue d'atterrissage, mais sans grande surprise vis-à-vis des 2350m de LDA proposée par cette piste.

"Glide slope alive."

L'avion finit de s'établir sur l'ILS 21 et se met en descente. Au fur et à mesure, à une VS de 500ft/min, je prête une attention de plus en plus particulière à l'altitude et à la vitesse. Rapide coup d’œil au thermomètre, +8 degrés à 2000ft. Soudain, le sommet de la couche nuageuse s'illumine et en quelques secondes, le pare brise vire du noir profond de la nuit au blanc étincelant des phares led du F-PT, ponctué du clignotement régulier des strobe lights. Je concentre toute mon attention à l'intérieur de la cabine afin de garder mes yeux habitués à l'obscurité et à l'éclairage de mon G1000 et réduire le risque de désorientation spatiale.

"Hundred above."

Les deux puissants phares du Cessna se reflètent dans le nuage comme deux yeux. Je décide de me désisoler afin de pouvoir éventuellement entendre mon passager, en cas de besoin. A 100ft avant les minimas, on aperçoit le sol, mais pas encore de piste en vue. A peine quelques secondes plus tard, la rampe d'approche transperce littéralement ce qui reste de la couche. J'entends l'émerveillement de mes deux passagers dans l'intercom.

"Minimums, minimums"

Soulagement à bord. Cette annonce du G1000 a eu un écho particulier. Mais pas de relâchement, il reste encore une étape : il faut se poser avec 15kts de vent arrière. Plus la piste se rapproche, plus je sens l'avion filer à toute vitesse vers l'entrée de piste. Je m'applique à la manette des gaz et m'acharne dans mon circuit visuel entre l'extérieur, et mon PFD, pour suivre au mieux le glideslope et toucher au plus près des plots à la bonne vitesse. Moment décisif. J'arrondis. L'avion plane sans que je le retienne et finit par toucher de lui-même quelques dizaines de mètres après les plots. J'appuie sur le l'alternat et annonce "Foxtrot-Papa-Tango, speed is under control", puis donne mon intention de parquer l'avion pour la nuit. Nous ne pourrons pas aller plus loin ce soir. Je refais le plein et place l'avion à son point de stationnement pour la nuit.

Le soulagement laisse progressivement place à l'excitation. Je déterre de façon compulsive un câble PC pour ma GoPro, ayant hâte de voir ce que les images ont bien pu donner de cette percée. L'instant inoubliable a bien été immortalisé par la caméra, et nous nous empressons de le copier chacun quelque part, dont voici le montage final de la bande:




Nous sommes Lundi, il est 6h. Je ne suis même pas encore levé que je consulte la météo sur mon téléphone. Du brouillard givrant nous attend à Toussus et le radiosondage montre que c'est épais, pas de surprise quand la TEMSI m'affiche une zone de givrage modéré SFC-XXX. Pas le choix, il faut attendre jusqu'à la prochaine TEMSI, celle de 9h UTC. J'en profite pour prévenir qui de droit que je ne serai pas en mesure de rentrer avant midi à cause de la météo. La TEMSI de 9h n'est pas optimiste du tout. La visibilité est de 6000m et une large zone de givrage s'étend du sol jusqu'au FL120. Il faut encore attendre 3h pour la TEMSI de 12h UTC. Malheureusement, ce sera un nouveau NoGo, la zone de givrage modéré s'étendant de 1500 à 4500ft, suivie d'une inversion et d'un nouvel ISO 0°C vers le FL70. Rien de plus à faire, si ce n'est aller manger au restaurant de l'aéroport de Poitiers, qui est vraiment très bon. La TEMSI de 15h UTC sera le verdict final.


A la sortie de la dernière TEMSI à 15h UTC, nous pesons le pour et le contre: ce système perturbé s'installe durablement, donc si nous ne partons aujourd'hui, il ne sera pas possible de rapatrier l'avion avant Samedi, au plus tôt. Mais nous avons un problème avec le givrage dans les basses couches. D'après les radiosondages, la température descend jusqu'à -5° vers 3000ft avant de remonter à 0°C à 4000ft. Impossible donc de prévoir un dégivrage en altitude, le risque étant que l'on ne l'atteigne jamais, cette fameuse altitude de l'ISO 0 (le 172 n'est pas une foudre de guerre et je ne pense pas que l'accrétion de glace sur le bord d'attaque va l'aider). Cependant les METAR/TAF sont à l'orange foncé. Nous avons une fenêtre pour tenter de partir en VFR Spécial. La question est de savoir s'il est judicieux de tenter un vol d'une heure et demi avec des conditions de visibilité variant entre 5 et 8km, et un plafond n'excédant pas au mieux les 800ft/sol ? Finalement, le plus simple pour s'en convaincre, c'est de voir ça par nous même. On remet rapidement l'avion en état et grimpons pour un tour de piste.

"- Puissance décollage affichée. Badin actif, pas d'alarmes. 55kts, rotation."

Le Cessna 172 SP s'arrache du sol avec 15kts de vent face. Les chiffres s’égrènent sur l'altimètre. Nous sommes à 800ft/sol au début de la vent arrière, mais au fur et à mesure, la descente est forcée, jusqu'à ne plus avoir que 400ft en fin de vent arrière. La visibilité est également plus proche de 5km que de 8. Très loin d'être convaincu, j'annonce à la tour que ce sera un complet.



Cette fois c'est la bonne. L'avion restera au sol à Poitiers jusqu'à la fin de la semaine. Nous demandons à la sécurité de nous prêter deux grosses paires de cales pour sécuriser l'avion, le mauvais temps étant prévu toute la semaine, je préfère ne prendre aucun risque. Retour dans le terminal de l'aéroport. Nous organisons nos affaires et le retour sur Paris s'organise en TGV, grâce à l'assistance FFA, après une grosse journée d'attente, car il vaut mieux être au sol et regretter de ne pas en l'air, qu'être en l'air et regretter de ne pas être au sol.

Fly safe.

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